Avant même leur entrée en guerre en décembre 1941, les États-Unis s’engagent dans une production intensive de matériel militaire. Les origines de cette politique remontent à la décision prise par les États-Unis en 1938 d’autoriser les ventes d’armes en gros à la France et à la Grande-Bretagne. Grâce à cette politique, ces deux pays vont pouvoir se procurer des quantités considérables de matériels militaires et d’avions. Pour exemple, en 1940, la France, la Grande-Bretagne et les pays du Commonwealth ont acheté 90 % de la production d’avions américains et rien que pour le mois de juin 1940, les alliés ont acheté pour 43 millions de dollars de matériel militaire aux américains.
En février 1941, Winston CHURCHILL – Premier Ministre Britannique - fait une déclaration à l’attention des américains au cours de laquelle il dit : « Donnez-nous les outils et nous finirons le travail ». En réponse à cette déclaration, le Président Franklin D. Roosevelt présente un projet de loi permettant aux États-Unis de « fabriquer, vendre, prêter, transformer, louer ou échanger » tout matériel de guerre à tout pays dont la défense serait jugée nécessaire à celle des États-Unis. Ce projet de loi aboutira à la signature le 11 mars 1941 de la loi Prêt-Bail (Lend-Lease). La loi Prêt-bail contribuera de façon déterminante à maintenir la machine de guerre alliée en fonction en permettant en effet la fourniture du matériel terrestre, naval, aérien, la livraison de nourriture, de vêtements, de matière première,… aux alliés. Dès lors, d’énormes marchés sont signés avec les entreprises américaines, et cette accélération de la production relance l’économie américaine qui sort enfin de la crise dans laquelle elle était plongée depuis 1929.
Suite à l’attaque de Pearl Harbor par les japonais, le 07 décembre 1941, les États-Unis se retrouvent presque du jour au lendemain directement impliqués dans le conflit de la 2nde guerre mondiale. Il faut à nouveau (et rapidement) envisager d’augmenter la production. Les hommes étant mobilisés, la pénurie de main d’œuvre se fait rapidement sentir dans les usines, et le travail des femmes devient alors une nécessité pour le gouvernement américain.
Le 06 janvier 1942, le Président Franklin D. Roosevelt lance un véritable défi à l’industrie américaine en annonçant le Victory Program, un programme d’économie de guerre visant à produire des quantités croissantes de matériel de guerre. Ce programme entrainera les États-Unis dans une production de matériel militaire jamais égalée. Les industries convertissent leur production : des entreprises comme FORD et CHRYSLER interrompent leur production de voitures au profit de l’assemblage d’avions, de chars, d’automitrailleuses … Les entreprises du bâtiment se lancent désormais dans la construction de chantiers navals. Des millions d’emplois sont ainsi créés.
Le gouvernement américain comprend assez rapidement qu’il est difficile de mobiliser la population en vue de produire un gigantesque effort de guerre alors que le territoire national n’est pas directement menacé. Il décide donc de lancer un vaste programme de propagande. Par le biais de campagnes d’affichage, de films, de la presse, …. il valorise le travail des ouvriers et explique que, pour qu’un soldat soit victorieux sur le front, il faut qu’à l’arrière la production militaire soit suffisante et de bonne qualité. Le travail en usine est désormais considéré comme un acte patriotique. Les femmes, particulièrement concernées par cette propagande, sont fortement incitées à rejoindre les usines d’armement, ou tout autre secteur de l’industrie.
« Nous avons du travail à faire et une guerre à gagner… MAINTENANT ! »
Il faut convaincre la société de la nécessité de mettre les femmes au travail. La propagande doit aider à convaincre les dernières réticences des américains les plus conservateurs. Ce qui ne pouvait être envisageable avant-guerre l’est devenu avec le conflit.
« Je suis fière… Mon mari veut que je participe »
En juin 1942, les États-Unis créent un bureau de l’information de guerre (Office of War Information ‘OWI’). Ce bureau cherche (entre autres choses) à promouvoir le patriotisme en organisant des campagnes de propagande, dont les campagnes pour le recrutement des femmes pour l’effort de guerre.
Des photographes comme Alfred T. PALMER et Howard R. HOLLEM sont sollicités par ce bureau pour effectuer des séries de photos de femmes au travail, immortalisant ainsi l’engagement massif des femmes dans l’industrie lourde du Victory Program.
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Les magazines américains de l’époque regorgent d’articles sur l’effort de guerre, de nombreuses photos des femmes au travail dans les usines sont publiées.
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Le gouvernement américain encourage également les entreprises à faire leur propre propagande en faveur de l’effort de guerre.
C’est dans ce contexte qu’en 1942, l’usine Westinghouse Electric commande à l’artiste J. Howard MILLER une série de 42 affiches prônant l’effort de guerre au sein de l’entreprise. Chacune de ces affiches sera affichée pendant 15 jours dans l’usine puis on la remplacera par une autre de la série. L’affiche la plus populaire de cette série est celle dont le slogan est « We can do it ! »
Pourtant, cette affiche n’a été tirée qu’à 1800 exemplaires et n’a été vue à l’origine qu’au sein des usines de la Westinghouse Electric (du 15 au 28 février 1943). Les usines ciblées par cette affiche étaient surtout l’usine de Pittsburgh en Pennsylvanie et les usines situées dans le Midwest, qui comptaient parmi leurs employés une forte proportion de femmes (on y produisait des doublures de casques militaires imprégnées d’une résine plastique).
Les autres affiches de la série avaient des slogans à connotation assez paternaliste, faisant la promotion de l’autorité de la direction et des compétences des employés. Elles encourageaient les travailleu-rs -ses à travailler plus, à fournir un travail de qualité, à respecter les valeurs et la hiérarchie de l’entreprise, à optimiser l’organisation du travail, à respecter les règles de sécurité, etc. Ces affiches avaient également pour objectif de remonter le moral des travailleurs, de réduire l’absentéisme et les conflits au sein de l’entreprise, d’encourager le travail en équipe …
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Des questions à propos de votre travail ? …Parlez-en à votre superviseur
Le slogan « We can do it ! » n’a probablement pas été interprété par les ouvriers de l’usine comme un élément donnant du pouvoir uniquement aux femmes ou comme un encouragement à l’émancipation des femmes. Les salarié-es auront probablement interprété ce slogan dans le sens « Les employé-es de la Westinghouse peuvent le faire ! », (en travaillant ensemble, hommes et femmes).
Pour créer cette affiche, J. Howard MILLER se serait inspiré d’une photographie prise par un photographe de l’agence UPI (United Press International) d’une jeune ouvrière dans une usine du Michigan, Géraldine HOFF-DOYLE alors âgée de 17 ans, penchée sur une presse avec un bandana à pois sur la tête. Théorie très répandue mais parfois controversée, notamment par Charles A.RUCH, un historien de la Westinghouse Electric et ami de J. Howard MILLER, qui doute de la relation entre la photo de Géraldine HOFF-DOYLE et la femme figurant sur l’affiche ‘We can do it !’, car d’après celui-ci J. Howard MILLER s’inspirait pour ses créations plus de modèles vivants que de photographies.
Après 40 ans d’oubli, cette affiche a été redécouverte en 1982 grâce à un article du WASHINGTON POST consacré aux affiches à connotation patriotique issues de la collection des Archives Nationales. Depuis, cette image est souvent associée au féminisme, à sa promotion et à l’émancipation des femmes. L’utilisation que l’on fait aujourd’hui de cette affiche est donc finalement assez éloignée de son objectif initial.
D’autre part, depuis sa redécouverte, on identifie également souvent (et ceci à tort) la femme représentée sur cette affiche comme étant Rosie The Riveter, alors qu’il s’agit bien de deux choses différentes.
Le nom de Rosie the Riveter est apparu ultérieurement, dans une chanson patriotique devenue très populaire durant la guerre, écrite par Redd EVANS et John Jacob LOEB en 1942, mais qui n’a été diffusée et popularisée qu’en 1943 par le Quartet The Four Vagabonds.
Cette chanson nous parle d’une jeune femme prénommée Rosie qui travaille à l’usine (elle assemble à l’aide de rivets des fuselages d’avions) pendant que son petit-ami est au front. Cette jeune femme abandonne les futilités et les plaisirs de la vie pour participer à l’effort de guerre ; elle incarne un peu le nouvel ‘idéal féminin’ durant la guerre. Les paroles décrivent exactement le genre de rôle que le gouvernement attend des femmes en temps de guerre :
Elle est sur la chaîne à son poste
Elle fait l’histoire, travaillant pour la victoire
Elle est vigilante contre le sabotage
Assise sur le fuselage
Cette frêle petite peut faire plus qu’un grand
gaillard
Rosie a un chéri Charlie
Charlie est un Marine
Rosie protège Charlie
En travaillant sans limite avec sa riveteuse
Quand elle fut récompensée
Sa fierté était à son comble
Il y a quelque chose de vrai dans nos couleurs rouge,
bleu et blanc
Pendant que d’autres filles sont dans les bars
Buvant des Martinis, mangeant du caviar
S’il y en a une qui leur fait honte, c’est bien
Rosie
Tout le monde admire la scène
Rosie au travail sur un B-19
Elle ne gazouille jamais, n’est jamais nerveuse ou
irritable
Parfois elle est pleine d’huile et de graisse
Faisant sa part pour vivre
Elle garde l’équipe au travail
Eux qui adorent glander
Rosie achète des tas de War Bonds
Cette fille est pleine de bon sens
Elle voudrait en acheter encore plus
Elle met tout son argent pour la défense
Le Sénateur Jones qui est dans le secret
A crié ça à la radio « jusqu’à Berlin
On va en entendre parler »
A Moscou on l’acclamera
Rosie la Riveteuse
Cette chanson a un énorme succès et dès lors, le prénom de Rosie commence à incarner toutes les femmes travaillant dans l’industrie dans le cadre de l’effort de guerre.
Quelques mois plus tard, c’est l’illustrateur le plus populaire du pays, Norman ROCKWELL, qui va enfin mettre un visage sur cette fameuse Rosie The Riveter et la faire définitivement entrer dans l’Histoire, en la représentant sur la première de couverture du SATURDAY EVENING POST du 29 mai 1943.
Cette couverture représente une femme (dont l’emploi est clairement identifié grâce au pistolet à riveter posé sur ses genoux), se prénommant Rosie (son nom est inscrit sur sa sacoche) en pleine pause déjeuner et piétinant l’ouvrage d’HITLER (Mein Kampf) sur fond de drapeau américain. Le message est assez clair : grâce à son travail et à sa participation à l’effort de guerre, Rosie aidera à écraser HITLER.
En ce qui concerne la pose de Rosie, N. ROCKWELL s’est inspiré d’une peinture du prophète Isaïe réalisée par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.
En ce qui concerne la pose de Rosie, N. ROCKWELL s’est inspiré d’une peinture du prophète Isaïe réalisée par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.
Le gouvernement américain a profité du succès de la chanson et de la popularité de la peinture de Norman ROCKWELL pour intensifier encore un peu plus sa propagande en faveur de l’effort de guerre féminin. Les magazines de l’époque sont incités à écrire des articles en faveur du recrutement des femmes dans les usines, laissant entendre à celles-ci qu’elles obtiendraient un bon salaire, de la reconnaissance, que grâce à leur travail elles sauveraient la vie de nombreux soldats, que plus elles travailleront, plus vite la guerre sera finie … On publie également un grand nombre d’articles sur des femmes riveteuses, soudeuses, conductrices d’engin, agricultrices,… laissant présager aux femmes que les métiers jusqu’alors réservés aux hommes leur sont désormais accessibles.
Peu à peu, le mythe de ‘Rosie the Riveter’ s’installe, et au fil du temps Rosie devient un modèle pour beaucoup de femmes américaines de cette époque.
Lorsque les États-Unis sont entrés en guerre, 12 millions de femmes exerçaient déjà une profession. Grâce à la propagande et au patriotisme ambiant, c’est plus de 6 millions de femmes qui vont entrer pour la première fois dans le monde du travail. La plupart de ces 6 millions de nouvelles recrues sont des femmes mariées, avec enfants, ce sont en général des femmes blanches issues de la classe moyenne. Pour elles, le travail à l’extérieur est une idée nouvelle car, jusqu’alors, ces femmes étaient plutôt cantonnées dans la sphère privée, contrairement aux femmes issues des minorités et des classes inférieures qui avaient déjà, quant à elles, plus ou moins investi le monde du travail salarié (le plus souvent pour des raisons économiques).
La guerre va introduire des changements majeurs dans la vie des femmes américaines.
Même si avant le conflit, une partie des femmes étaient déjà implantées dans le monde du travail, elles exerçaient pour la majorité d’entre elles des métiers typiquement féminins, des métiers de service, mal rémunérés, souvent pénibles, peu valorisants … Les besoins de production de guerre combinés avec le départ des hommes sur le front des opérations offrent aux femmes l’opportunité d’accéder à une plus large gamme d’emplois et d’obtenir de meilleures rémunérations. Ces femmes découvrent qu’elles peuvent avoir aussi un rôle à jouer en dehors de la sphère privé, qu’elles sont capables de se ‘débrouiller’ en l’absence de leur mari. Beaucoup d’entre elles entrevoient désormais le travail comme la clé de voûte de l’émancipation, qui leur permettra d’accéder à l’indépendance et à l’autonomie financière.
Malheureusement, les campagnes de propagande utilisées pendant la guerre n'ont jamais eu comme objectif d'apporter des changements permanents à la place des femmes dans la société. Au contraire, les idées du gouvernement étaient claires, le recrutement massif des femmes ne devait être que temporaire et ne devait servir qu’à combler la pénurie de main-d’œuvre durant la guerre. À la fin des hostilités, le gouvernement a lancé une nouvelle campagne de propagande, invitant cette fois les femmes à céder leurs emplois aux hommes, en leur rappelant au passage que l’atout principal des femmes était leur capacité à prendre de soin de leurs maisons, de leur famille … Beaucoup de femmes ont tout simplement été licenciées, d’autres ont quitté leur emploi (soit d’elles-mêmes mais parfois aussi sous la pression de leur mari ou de leur famille) d’autres se sont vu proposer par leurs employeurs des postes moins bien rémunérés, plus ‘féminins’…
En clair, après-guerre un grand nombre de femmes sont retournées au foyer et à leurs tâches ménagères … et l’augmentation du taux de natalité durant ces années d’après-guerre n’a fait qu’amplifier le phénomène.
Malheureusement, les campagnes de propagande utilisées pendant la guerre n'ont jamais eu comme objectif d'apporter des changements permanents à la place des femmes dans la société. Au contraire, les idées du gouvernement étaient claires, le recrutement massif des femmes ne devait être que temporaire et ne devait servir qu’à combler la pénurie de main-d’œuvre durant la guerre. À la fin des hostilités, le gouvernement a lancé une nouvelle campagne de propagande, invitant cette fois les femmes à céder leurs emplois aux hommes, en leur rappelant au passage que l’atout principal des femmes était leur capacité à prendre de soin de leurs maisons, de leur famille … Beaucoup de femmes ont tout simplement été licenciées, d’autres ont quitté leur emploi (soit d’elles-mêmes mais parfois aussi sous la pression de leur mari ou de leur famille) d’autres se sont vu proposer par leurs employeurs des postes moins bien rémunérés, plus ‘féminins’…
En clair, après-guerre un grand nombre de femmes sont retournées au foyer et à leurs tâches ménagères … et l’augmentation du taux de natalité durant ces années d’après-guerre n’a fait qu’amplifier le phénomène.
Ceci dit, on peut quand-même considérer que l’effort de guerre des femmes a joué un rôle émancipateur pour bon nombre d’entre elles, puisqu’après-guerre, le nombre de femmes occupant un emploi n’est jamais retombé en dessous des niveaux de ceux constatés avant-guerre. Ce qui laisse à penser que cet épisode de l’Histoire a un tantinet changé les mentalités et que les filles et petites-filles des Rosie ont continué sur la voie tracée par leurs mères et leurs grands-mères.
Il est assez amusant de constater ici que Rosie the Riveter, tout comme l’affiche ‘We can do it !’, sont parvenues à devenir des symboles du féminisme dans les années 80 malgré leurs racines plutôt patriotiques et paternalistes ... Ce qui montre qui les images peuvent avoir plusieurs vies, qu’elles peuvent être vues et interprétées de manière différente selon les époques et qu’elles peuvent s’adapter à une autre cause ou à un autre but que celui pour lequel elles ont été créées ; mais à condition d’oublier le contexte historique qui les a vues naître … L’attitude frondeuse de Rosie et de la femme représentée sur l’affiche de J. Howard MILLER a sans doute beaucoup aidé à transformer ces deux représentations en icônes du féminisme …
Laurence (avec la précieuse collaboration d'Hélène)
Sources
Harvey Sheridan Rosie The Riveter : real women workers in world war II
Rosie the Riveter: Women Working During World War II
Penny Colman Rosie The Riveter image
Docs populi ‘Rosie The Riveter’ is not the same as ‘We can do it !’
James Kimble and Lester Olson Visual Rhétoric representing Rosie The Riveter. Myth and misconception in J.Howard Miller’s ‘We can do it !’ poster
Dird William L Rubenstein Harry R Design for victory
Wikipédia
Rosie Pictures: Select Images Relating to American Women Workers During World War II
World War II and the Postwar Years in America: A Historical and Cultural Encyclopedia, Volume 1
American Women during World War II: An Encyclopedia
Merci pour cet article passionnant. Pourriez-vous citer vos sources?
RépondreSupprimerVoilà ! :)
Supprimermerci!
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerTrès intéressant à lire aussi: http://lesvoyagesdejade.blogspot.fr/
RépondreSupprimerqui pourras peut être vous intéresser! :)
Trés interessant à voit aussi http://lesvoyagesdejade.blogspot.fr/ qui pourrais vous interesser !!!
RépondreSupprimerCet article apporte beaucoup de précision. Il est très bien fait et écrit. Merci
RépondreSupprimerTrès intéressant et facile à lire! BRAVO!
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