Le Prix Simone
de Beauvoir, crée en 2008 à l’initiative de Julia Kristeva à l’occasion du 100ème
anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir (9 janvier 1908), est une
récompense française décernée à l’origine aux femmes et aux hommes qui, selon
le jury, ont contribué par leur œuvre et leur action à promouvoir la liberté
des femmes dans le monde. Son jury international, présidé par la journaliste
Josyane Savigneau, est composé de trente personnalités 1 issues
d’horizons divers.
Le 9
janvier dernier, et cela pour la première fois depuis sa création, le Prix
Simone de Beauvoir a récompensé une institution : le National Museum of Women in the Arts (NMWA) de Washington, seul musée au monde dédié exclusivement à la
reconnaissance du talent d’artistes femmes, dans toutes les disciplines de
l’art (peinture, sculpture, musique, littérature, cinéma, photographie,
design…).
NMWA /
Washington DC
L’histoire
de ce musée commence dans les années 1960 lorsque Wilhelmina Cole Holladay et
Wallace F. Holladay débutent une collection d’œuvres d’art exécutées par des
femmes et que, comme d’autres chercheurs et historiens d’art de cette époque,
ils commencent à se poser des questions sur la sous-représentation des femmes
de divers groupes raciaux et ethniques 2 dans les collections des
grands musées et grandes expositions.
Wallace F. et
Wilhelmina Cole Holladay.
En
1980, Wilhelmina Cole Holladay a l’idée d’ouvrir un musée dédié à la créativité
artistique des femmes et c’est en novembre 1981 que le NMWA est créé. La
Collection Holladay devient alors le fonds de la collection de ce musée privé,
à but non lucratif. Le NMWA ouvre ses portes au grand public au printemps 1987
avec son exposition inaugurale « American Women Artist 1830-1930 »,
rétrospective organisée par Eleanor Tufts, célèbre historienne d’art particulièrement
reconnue pour ses compétences dans le domaine des artistes femmes.
Si
jusqu’à présent le Prix Simone de Beauvoir a principalement récompensé des écrivaines et
des militantes engagées dans différentes luttes
pour les droits des femmes, on peut alors se demander pourquoi cette année ce
Prix est remis à ce grand musée privé ?
En
réalité, la remise de cette récompense au NMWA soulève la question de la
présence des artistes femmes dans les musées et galeries d’art, mais plus
généralement dans le domaine des arts et de la culture.
On peut
évidemment admirer beaucoup de femmes dans les musées. Elles sont très
représentées, voire surreprésentées même. Mais de quelle manière ? Nues,
en déesse, en Sainte, en pécheresse,… mais beaucoup plus rarement comme
auteures d’œuvres.
La
place des femmes et l’égalité dans les domaines culturels et artistiques sont
loin d’être résolues comme on pourrait parfois le croire. Les créations des
femmes ne sont pas reconnues à l’égal de celles des hommes.
Pour exemple,
on peut évoquer le temps qu’il a fallu pour reconnaître à sa juste valeur
l’œuvre de Camille Claudel. On
pourrait aussi parler de Sonia Delaunay que l’on associe encore très souvent à
son mari Robert Delaunay. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter sa
notice Wikipedia. En effet, on peut y lire :
« Toujours associée à son mari Robert dans la peinture, la mode, ou des aventures monumentales comme la fresque destinée au Palais des chemins de fer pour l'Exposition internationale de 1937, elle est souvent exposée avec lui au Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, auquel elle a fait plusieurs donations » (notice consultée le 21 février 2015).
On
pourrait évoquer également le prix des œuvres en fonction que l’on soit une ou
un artiste. A titre d’exemple toujours : quand en 2013 le Balloon Dog de Jeff Koons se vend 58,4
million de dollars, la sculpture d’araignée de Louise Bourgeois intitulée Maman se vend 10,7 million de dollars en
2011, un prix record pour l’artiste mais aussi le prix le plus élevé payé pour
une œuvre d’artiste femme.
Balloon
Dog / Jeff Koons
Maman / Louise Bourgeois
A n’en
pas douter, le plafond de verre, les inégalités et la discrimination à
l’encontre des femmes sont, comme dans le reste de la société, bien présents
dans les milieux culturels et artistiques.
En
France, le rapport commandité par la Délégation des Droits des femmes remis au
sénat en 2013 3 ne dit rien d’autre. Ce rapport nous apprend entre
autre que 84 % des théâtres cofinancés par l’Etat sont dirigés par des hommes,
ainsi que 94 % des orchestres et 86 % des établissements artistiques.
Il nous
apprend également que parmi les acquisitions des fonds d’art contemporain pour
les années 2011 et 2012, la part des artistes femmes est inférieure à 30 %.
Paradoxalement,
depuis les années 2000, 60 % des artistes diplômé-e-s des écoles des Beaux-arts
en France sont des filles. A l’Université, les disciplines artistiques sont
également très féminisées. Mais que deviennent ces femmes ? Pourquoi n’en
retrouvons-nous pas plus dans le domaine culturel et artistique ?
Le Prix
Simone de Beauvoir honore donc cette année un combat pour la défense et la
visibilité de la création des artistes femmes dans le monde entier.
Certes
dans le monde de l’art, les femmes, sujets plutôt qu’objets, sont plus visibles
qu’autrefois. Ces dernières années, en France, les évènements culturels
entièrement dédiés aux artistes femmes n’ont pas manqué. En 2009, il y a eu l’exposition
elles@centrepompidou. Plus proche de nous, l’exposition Niki de Saint-Phalle au
Grand Palais et celle consacrée à Sonia Delaunay au Musée d’Art Moderne de la
ville de Paris, qui viennent toutes deux de fermer leurs portes. L’an prochain,
il y aura également une grande exposition consacrée à Elisabeth Vigée Le Brun
au Grand Palais (du 23 sept. 2015 au 11 janv. 2016).
Tous
ces évènements sont évidemment très importants. Ils nous montrent que les
choses avancent mais (parce qu’il y a toujours un « mais » quand il
s’agit de l’égalité F/H) en y regardant de plus près, les statistiques nous
prouvent que les expositions d’artistes femmes sont encore très minoritaires et
qu’elles sont toujours largement sous-représentées, en tant qu’auteures d’œuvres,
dans les musées, galeries et grandes expositions.
Les
combats des féministes sont nombreux (égalité salariale, viol, violences faites
aux femmes, sexisme,…). Le combat pour que les artistes femmes du passé, du
présent et du futur obtiennent la place et la reconnaissance qu’elles méritent
n’en est qu’un de plus. Le talent et le génie créatif ne sont pas l’apanage des
hommes, faisons le savoir !
Laurence
1 –
Composition du jury « Prix Simone de Beauvoir » 2015 : Josyane
Savigneau (présidente du jury, journaliste au Monde), Julia Kristeva
(présidente fondatrice, professeur université Paris Diderot, écrivain et
psychanalyste), Sylvie Le Bon de Beauvoir (présidente d’honneur du jury),
Élisabeth Badinter (philosophe), Gérard Bonal (écrivain),Constance Borde
(co-auteure de la traduction en anglais du Deuxième Sexe de Simone de
Beauvoir),Denis Charbit (professeur de civilisation française à l’universitéde
Tel Aviv),Cécile Decousu (doctorante à l’université Paris Diderot), Annie
Ernaux (écrivaine),Claire Etcherelli (écrivaine), Madeleine Gobeil-Noel
(ancienne directrice des Arts à l’Unesco), Sihem Habchi (ex-présidente de « Ni
pute ni soumise »), Liliane Kandel (sociologue), Ayse Kiran (docteure,
université de Haceteppe, Ankara, Turquie), Claude Lanzmann (écrivain, cinéaste
et directeur de la revue Les Temps Modernes), Bjorn Larsson (écrivain,
professeur, université de Lund, Suède), Liliane Lazar (Simone de Beauvoir
Society, États Unis), Annette Lévy-Willard (journaliste à Libération, écrivain),
Anne-Marie Lizin (sénatrice, présidente du Conseil des femmes de Wallonie,
Belgique), Frédéric Maget (écrivain), Sheila Malovany-Chevallier (co-auteure de
la traduction en anglais du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir), Kate Millett
(écrivaine, artiste peintre et sculpteur, États Unis), Yvette Roudy (Ministre
des Droits de la femme de mai 1981 à1986), Danièle Sallenave (écrivaine), Alice
Schwarzer (écrivaine, Allemagne), Margaret Simons (professeure de philosophie,
Southern Illinois University, États-Unis), Annie Sugier (présidente de la Ligue
internationale du droit des femmes), Linda Weil-Curiel (avocate), Anne Zelensky
(écrivaine, présidente de la Ligue du droit des femmes, cofondée avec Simone de
Beauvoir)
2 – Pour en savoir plus sur
l’intersectionalité : http://www.relais-femmes.qc.ca/files/CRI-VIFF-Regards_sur_intersectionnalite.pdf (consulté le 21 février 2015).
3 - Rapport d’information fait au
nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les
hommes et les femmes sur le thème « La place des femmes dans l’art et la
culture » - N° 704 – Sénat, session ordinaire de 2012-2013.
Sources :
Wikipedia : Prix Simone de
Beauvoir pour la liberté des femmes : http://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Simone_de_Beauvoir_pour_la_libert%C3%A9_des_femmes (consultée le 21 février 2015)
Discours
de Josyane Savigneau (présidente du prix Simone de Beauvoir), Christine Clerici
(présidente de l’université Paris Diderot), Anne Tallineau (directrice générale
déléguée de l’Institut Français), Sheila Malovany-Chevallier (membre du jury), Constance
Borde (membre du jury), Susan Fisher Sterling (directrice du National Museum of
Women in the Arts), prononcés lors de la remise du Prix Simone de Beauvoir au
Musée d’Art Moderne de Paris le 9 janvier 2015. https://www.youtube.com/watch?v=EnmBevk6m0M
(consulté
le 21 février 2015)
Article « L’art au centre du
Prix Simone de Beauvoir pour la liberté
des femmes » :http://www.rfi.fr/ameriques/20150109-art-centre-prix-simone-beauvoir-liberte-femmes-2015-national-museum-women-in-the-arts-washington/
(publié le
9 janvier 2015)
Site officiel du NMWA : http://nmwa.org/
Site officiel Les amis du
NMWA : http://www.lesamisdunmwa.fr/NMWA.html
Wikipedia
Sonia Delaunay : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sonia_Delaunay
(consultée
le 21 février 2015)
Article
« Jeff Koons s’expose au centre Pompidou jusqu’en avril » : http://www.gentlemale.fr/407500/jeff-koons-expose-centre-pompidou-avril.html
(publié le 27 novembre 2014)
Article « Louise Bourgeois,
la sculptrice contemporaine » : http://www.contemporaine.org/louise-bourgeois.html
(consulté
le 21 février 2015)
Article : Prix Simone de Beauvoir 2015 : « Plus de
liberté pour les femmes… et pour nous tous. »
Publié
le 14/01/15 sur le site Université Paris Diderot http://www.univ-paris-diderot.fr/sc/site.php?bc=accueil&np=pageActu&ref=6881
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