jeudi 6 février 2014

Portrait de Sabrina Duriez, militante à Osez le féminisme ! Lille



Un article paru dans la Voix du Nord le 3 février fait le portrait de Sabrina, une de nos co-présidentes.

Osez le féminisme! à Lille : 

« C’est dès le plus jeune âge 

qu’il faut combattre les clichés sexistes »


Propos recueillis par PATRICK SEGHI
Photo de PATRICK JAMES



Sabrina Duriez, 27 ans, mégaphone à la main lors de la manifestation pro IVG de ce samedi, est l’une des voix du renouveau féministe à Lille. « Les crises sont toujours plus dommageables pour les femmes. ». Entretien de fond avec la coprésidente de l’association Osez le féminisme 59 ! Musclé et revigorant…




Quel est votre parcours de vie, quels ont été vos premiers engagements, pourquoi le féminisme ?




Sabrina Duriez, coprésidente Osez le féminisme 59 ! : « J’ai 27 ans, je suis originaire de Picardie où j’ai grandi avant de faire mes études supérieures à Paris, puis Nancy, où j’ai suivi une spécialisation achats au sein de l’école de commerce ICN. Après trois ans à Paris, j’ai emménagé il y a un peu plus d’un an à Lille et je travaille aujourd’hui dans les achats textiles. Mes premiers engagements n’ont pas concerné le féminisme mais la solidarité internationale. La première association dans laquelle je me suis investie a été Burkin’H2O, une association étudiante dont le but est de collecter des fonds pour financer le forage de puits dans des villages du Burkina Faso. À la fin de mes études, je me suis investie en tant que bénévole au siège de l’association Action contre la Faim. J’ai ensuite travaillé dans le commerce équitable au sein de la centrale d’achats Solidar’Monde, du réseau Artisans du Monde. Le féminisme n’a donc pas été immédiat chez moi mais tous mes engagements ont un point commun : la volonté de combattre les inégalités. Le féminisme est un projet politique qui part d’une prise de conscience individuelle pour aboutir à une démarche collective, progressiste et solidaire. »


Quel facteur a déclenché la prise de conscience militante ?




« Ma prise de conscience féministe s’est forgée progressivement, au fil de mes expériences personnelles, associatives ou professionnelles. Lorsque j’étais investie dans les associations de solidarité internationale, j’ai par exemple appris que la précarité touchait toujours plus les femmes que les hommes, quel que soit le pays. J’ai aussi été sensibilisée aux mariages forcés, aux mutilations sexuelles pratiquées dans certains pays ou à l’absence de liberté d’expression pour certaines femmes. En commençant à travailler, j’ai pu constater par moi-même la sous-représentation des femmes dans les instances directives des entreprises. Et dans ma vie personnelle, j’ai toujours été choquée par le sexisme ordinaire que nous devons subir chaque jour en tant que femme. Tous ces facteurs ont contribué à mon envie de militer au sein d’une association féministe. J’ai ensuite fait la connaissance d’Osez le Féminisme ! lors d’une soirée d’interpellation des candidat-e-s à la présidentielle de 2012, organisée par les Féministes en Mouvement, collectif dont Osez le Féminisme ! fait partie. J’ai découvert Osez le féminisme 59 ! lors de son AG publique fin 2012. La formation sur le partage des temps de vie, pendant laquelle j’ai appris qu’aujourd’hui encore 80 % des tâches ménagères sont effectuées par les femmes, a achevé de me convaincre. J’ai alors commencé à me rendre régulièrement aux réunions publiques d’Osez le féminisme 59 ! et à m’investir dans des groupes de travail. Aujourd’hui je suis coprésidente, avec Lucille Crochard, au sein d’une belle équipe d’une vingtaine de personnes actives. Cette association qui a un peu plus de trois ans maintenant connaît une très belle progression et j’espère bien participer à son essor, pour toucher plus de monde et combattre les inégalités femmes-hommes plus efficacement. »


C’est quoi le féminisme en 2014, plus précisément à Lille ? Quels sont les stéréotypes en vigueur, les discriminations auxquelles faire face ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets, quotidiens ?




« Le féminisme en 2014, c’est se battre pour une égalité des droits femmes-hommes qui n’est toujours pas atteinte que ce soit dans la vie personnelle, dans la vie professionnelle ou dans la sphère publique. Le féminisme à Lille n’est pas différent du féminisme dans une autre ville de France. Aujourd’hui, le quotidien d’une femme, à Lille ou ailleurs, c’est : subir un temps partiel (plus de 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes) ou avoir un temps complet sous-payé par rapport à un emploi équivalent occupé par un homme (les femmes touchent en moyenne 24 % de moins que les hommes). Subir chaque jour des publicités sexistes où la femme est représentée comme une marchandise, un objet sexuel. La publicité récente d’un fournisseur d’accès à internet avec le slogan « Téléchargez aussi vite que votre femme change d’avis » a par exemple fait beaucoup de bruit dernièrement. Subir des violences conjugales (en France, une femme décède tous les 2,5 jours sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon). Subir les remarques sexistes de la part de son entourage, ses collègues ou de personnes croisées dans la rue. Quelle femme ne s’est jamais fait siffler ou interpeller alors qu’elle marchait tranquillement ? Voir sa sexualité mise au second plan car le plaisir de l’homme est plus important, comme le démontrent les résistances à l’abolition de la prostitution… On pourrait citer encore beaucoup de choses ! À Lille, comme ailleurs en France, les femmes ne connaissent toujours pas l’égalité. Elles subissent au quotidien la domination masculine dans tous les domaines. »


Le moment semble très particulier. Repli sur soi, « théorie » du genre, remise en cause de l’IVG, manif pour tous, verra-t-on l’émergence en contrepoint d’une nouvelle forme de militantisme ? D’une génération militante ?




« Je pense aussi que le contexte est rendu particulier par la crise économique qui perdure. Et malheureusement, les crises sont toujours plus dommageables pour les femmes. Tout d’abord, elles sont les premières à être touchées par le chômage puisqu’elles occupent majoritairement les emplois précaires qui sont ceux supprimés en premier. Ensuite, les temps de crises sont toujours favorables aux mouvements extrémistes que nous voyons monter en flèche en ce moment en France. Les gens, désespérés, se replient vers des partis et mouvements qui semblent avoir des solutions simples. Le « C’était mieux avant » l’emporte sur le progrès de la société. Ces mouvements réactionnaires défendent une vision archaïque de la société où la domination des hommes est ancrée. Les femmes doivent assurer « leur fonction de reproduction » comme l’a dit récemment Jean-Marie le Pen. Le mouvement de la Manif pour tous défend une famille avec un père et une mère car un enfant aurait besoin des deux : une mère pour apporter la tendresse, un père pour l’autorité. Non, ce n’est pas ça une famille ! Non, il n’y a pas de gène pour la tendresse que seule la femme posséderait, non il n’y a pas de gène pour l’autorité que seul l’homme posséderait. C’est la société qui attribue ces traits de caractère aux hommes et aux femmes et nous sommes là pour les déconstruire. Un enfant a uniquement besoin d’amour et d’éducation. C’est aussi simple que cela. Pour ce qui est de la soi-disant « théorie du genre », je tiens à rappeler que cette théorie n’existe pas. Le projet du gouvernement, l’ABCD de l’égalité, a simplement pour objectif de diffuser des valeurs d’égalité au sein des écoles. Et on ne peut que saluer cette initiative car c’est dès le plus jeune âge qu’il faut combattre les clichés sexistes. Ce projet a été complètement détourné par certain-e-s. Pour faire face à ces mouvements grandissants, il est clair qu’un militantisme féministe fort est nécessaire. En tant qu’associations féministes, nous devons veiller à agrandir notre réseau pour être plus fort que les mouvements réactionnaires. Je crois qu’Osez le féminisme ! est un bel exemple de ce mouvement qui prend forme. En quatre ans, ce réseau a vu se monter une vingtaine d’associations partout en France. Comme à Lille, la création d’une association commence par l’initiative de quelques un-e-s (notamment Suzanne Ohier pour Lille) et progressivement, les personnes présentes aux réunions sont de plus en plus nombreuses. Notre force est d’apporter un féminisme dynamique, ouvert aussi bien aux femmes qu’aux hommes et à des personnes de tout âge. »


Quel est l’objet de Osez le féminisme, sa réalité, son action lilloise ?




« L’objet d’Osez le féminisme ! est de défendre l’égalité femmes-hommes dans les faits et les mentalités. Notre but est de combattre les inégalités salariales, déconstruire les clichés sexistes, dénoncer les violences conjugales… pour atteindre une réelle égalité. Pour cela notre travail consiste principalement à faire de la sensibilisation et de la formation. Une de nos convictions est que la domination masculine a été possible par le maintien des femmes dans l’ignorance. Faire prendre conscience aux femmes et aux hommes de la réalité de la situation des femmes aujourd’hui est une nécessité. Pour cela nous utilisons plusieurs moyens dont les principaux sont : Des réunions mensuelles publiques pendant lesquelles nous échangeons et dispensons des formations ; Des manifestations et rassemblements comme celui du 1er février pour la défense du droit à l’avortement ; Des actions ponctuelles avec bientôt la participation à l’événement « One Billion Rising » contre les violences faites aux femmes le 14 février prochain, Des interventions en milieu scolaire, la communication web avec blog, nos pages Facebook et Twitter, la diffusion d’un journal mensuel. Nous réussissons à mobiliser de plus en plus de personnes. À chaque réunion mensuelle, nous avons une bonne vingtaine de participant-e-s avec un quart de nouvelles personnes. Les rassemblements que nous réalisons mobilisent aussi de plus en plus de gens comme nous avons pu le voir samedi dernier avec plus de 200 personnes. Notre réalité, c’est » aussi beaucoup de travail avec les autres associations lilloises travaillant pour les femmes. Chaque manifestation ou rassemblement s’organise conjointement avec les autres associations car le collectif l’emporte toujours. »


Être féministe a-t-il encore un sens aujourd’hui ?

« Oui, bien sûr ! Être féministe a du sens car aujourd’hui, l’égalité femmes-hommes n’est toujours pas une réalité. De plus, en matière des droits des femmes, rien n’est jamais définitivement acquis. La vigilance est toujours de mise comme le montre le gouvernement espagnol dont le projet de loi ferait reculer le droit à l’avortement de plus de 30 ans. Simone de Beauvoir a d’ailleurs dit : N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ».


Les infos pratiques sur osez le féminisme !


Pour contacter Osez le féminisme 59 !
Sur Internet : http://olf59.blogspot.fr/ ou Facebook : Osez le féminisme 59 ou Twitter : @OLF59

Prochaine réunion publique ouverte à tou-te-s le 12 février à 19h au Café Citoyen – 7 Place du vieux marché aux chevaux à Lille.

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